Situé à peu de kilomètres au sud de la ville, le château de Montjeu occupe une place privilégiée au-dessus d’Autun. Sa construction date du début du XVIIe siècle, mais l’histoire des seigneurs du lieu remonte bien plus loin dans les temps. Un certain Guillaume, de la famille d’Ostun, est le premier à porter le titre d’un « seigneur de Montjeu » en 1270. Il acquiert ce fief ducal grâce à son mariage avec Béatrice, la fille du chevalier Guy de Riveau. Proche des ducs de Bourgogne depuis le XIIe siècle, la famille d’Ostun renforce ses liens avec la cour avec l’acquisition de ce fief ducal. Les descendants du couple jouent un rûle majeur dans la région et dans la ville d’Autun : ils disposent d’importantes possessions, exercent des droits juridiques et font carrière au service des ducs. Au milieu du XIVe siècle, par exemple, Hugues de Montjeu est proche de Philippe de Rouvres, le dernier duc capétien de la Bourgogne, dont la mort entraîne un changement dynastique. Hugues réussit pourtant à rester proche de Philippe le Hardi, le premier Valois à porter le titre ducal.
Au XVe siècle la famille compte parmi l’élite du duché. Ses possessions et fiefs rapportent des revenus considérables, certains parents deviennent chanoines à la cathédrale St-Lazare d’Autun, d’autres étudient à Paris. Parmi eux, Philibert de Montjeu fait la carrière la plus remarquable – et bien connue grâce à une étude dont la publication a profité du soutien de la Fondation. Après ses études du droit, Philibert devient « maître des requêtes » à la cour de Jean sans Peur avant de poursuivre une carrière au sein de l’église. Devenu évêque de Coutances, il participe au concile de Bâle (1431-49), qu’il préside même pendant plusieurs mois en 1432.
Or, la famille connaît aussi des difficultés. Au début des années 1370 Odile de Montjeu, le père de Philibert, épouse Marie de Saulx. Le mariage lui rapporte d’importantes possessions, mais la famille de l’épouse fut seulement récemment anoblie – une mésalliance donc, bien qu’elle renforce les liens avec la cour ducale. Plus tard, la mauvaise fortune « biologique » frappe : en 1557 s’éteint Hugues III de Montjeu, le dernier descendant mâle en ligne directe. Les survivants accumulent des dettes et leurs possessions sont rapidement démantelées. En 1586 Montjeux-en-Montagne est vendu aux enchères – c’est Pierre Jeannin, le président du Parlement de Bourgogne, qui l’achète, avant d’acquérir Montjeu-en-Autun (1596) et Antully, s’emparant de la sorte de l’ensemble des anciennes possessions des Montjeu.
Le rûle de Jeannin est décisif pour le domaine : il décide de démolir l’ancien château au flanc oriental de la montagne et de construire une nouvelle demeure – le château actuel, qui est classé « Monument historique » depuis 1958. Ce château et la vaste propriété foncière qui l’entoure reste longtemps dans la famille avant de passer dans d’autres mains à l’époque moderne : Talleyrand, Ligne…
Les liens avec la commune d’Autun et la région restent cependant très forts. L’importance du lieu historique est indéniable : la construction des jardins par Le Nûtre n’est pas assurée, mais Madame de Sévigné a séjourné ici et en 1734 Voltaire a assisté dans la chapelle au mariage de la fille du prince de Guise avec le duc de Richelieu. Or, le plus grand trésor consiste peut-être dans les archives qui remontent à l’époque médiévale. Depuis peu, un immeuble vient d’être préparé pour les accueillir, où elles sont désormais conservées sous d’excellentes conditions. Grâce au travail de la Fondation et en coopération avec l’école nationale des Chartes, leur contenu a pu être inventorié selon des critères scientifiques actuels. La prise en charge de ce véritable trésor compte indubitablement parmi les plus importants héritages et missions de la Fondation.
Les activités de la Fondation focalisant de façon quasi naturelle sur la Bourgogne médiévale et moderne, cette perspective est complémentée de manière fertile par les entreprises « savoyardes » : à partir du XIe siècle se développe au cœur des Alpes occidentales une dynastie qui figure bientût parmi les plus illustres de l’Europe. Au début du XVe siècle, les comtes – et à partir de 1416 : ducs – de Savoie possèdent pratiquement tous les grands cols des Alpes occidentales et ils dominent les régions entre le pays de Vaud et le comté de Nice, entre la Bresse et le Piémont. Grâce à des mariages avantageux, la dynastie est liée à plusieurs maisons royales et princières – France, Angleterre, Portugal, l’Empire, Chypre, mais aussi les ducs de Berry, de Bourgogne et bien d’autres. Tout en restant enracinée dans la région, la Savoie développe un horizon véritablement européen.
élément indispensable de l’histoire des régions appartenant à la France, la Suisse et l’Italie actuelles, la Savoie et sa cour fournissent un complément de premier rang à l’histoire de la Bourgogne. à première vue moins resplendissante que celle-ci, la cour savoyarde est pourtant représentative pour la culture nobiliaire à l’époque médiévale – et moderne, comme le rappellent des travaux récents. Moins riche au domaine de l’historiographie, les séries de comptes, qui remontent au XIIIe siècle, fournissent un ensemble de sources extraordinaire. Leur richesse est à la base d’une longue série de travaux menés à l’Université de Lausanne dont la publication fut souvent soutenue par la Fondation : ces études mettent en relief et les particularités savoyardes et les aspects représentatifs. Si on parle beaucoup de la croisade vers la fin du Moyen âge, le comte Amédée VI va vraiment « ad partes infidelium » (et rentre avec un perroquet acheté à Venise) ; si les pratiques du gouvernement et de l’administration reflètent les courants bas-médiévaux, la topographie des territoires savoyards entraîne des effets particuliers, par exemple pour l’organisation du personnel « en voyage pour Monseigneur ». Amédée VIII finalement, le premier duc de Savoie, fait une carrière inouïe : élu pape par les pères du concile de Bâle en 1439, il figure dans l’histoire comme dernier antipape (jusqu’à présent…).
Mais la Savoie connaît aussi des facettes sombres : si elle participe pleinement à la culture des cours européennes, elle est aussi le berceau de l’imaginaire de la sorcellerie qui devient un phénomène européen : c’est surtout aux XVIe et XVIIe siècles qu’on persécute brutalement les soi-disant « sorcières » (et « sorciers »). Toute une série de travaux soutenus par la Fondation nous renseigne sur les origines savoyardes de cette histoire.
Situé au carrefour des mondes germanophones, francophones et italophones, la Savoie constitue donc un « laboratoire » particulièrement polyvalent. Loin d’être seulement une « principauté disparue » de nos jours, elle a laissé maintes traces dans les régions qui y appartenaient. Au même temps, elle ouvre des perspectives vraiment européennes d’une dynastie qui franchit volontiers et sans hésitation les frontières qui séparent aujourd’hui les états-nations. Comme l’histoire de la Bourgogne, mais dans une constellation complémentaire, celle de la Savoie nous montre l’altérité de notre propre passé – dont on peut, parfois, s’inspirer pour le présent